Trains – moments insolites

C’est le train « Rapide » qui fait le trajet Moscou-Nijni-Novgorod. Il n’est pas omnibus et ne s’arrête qu’une fois avant d’atteindre sa destination. Le trajet prend 5 heures pour moins de 420 kilomètres.

Il y a des trains plus rapides bien sûr. L’ « Express » prend 3 heures et demi. C’est pour les hommes d’affaires pressés.

Le « Rapide », lui, garde un charme désuet dont on a le temps de profiter.

Dans le « Rapide », on s’installe dans des compartiments à 8 places, avec des banquettes en skaï qui se transforment en couchettes pour les voyages de nuit. On a bien une place réservée mais le remplissage des trains peut vous amener à voyager avec une bande de militaires en permission, une famille bruyante, des paysans et leurs paquets bien ficelés remplis de mystérieuses denrées, des hommes à l’allure louche. C’est toujours une surprise. Tant pis, on s’arrangera avec la responsable du wagon pour changer de place. Elle sert le thé brûlant et les biscuits  et si vous n’avez pas affaire à ces vieilles matrones russes d’origine soviétique, elle vous aidera à satisfaire vos demandes.

Vous montez donc dans ce train d’un autre âge, après avoir dûment décliné identité, pièce d’identité, visa accompagné du permis de visite de votre ville de destination et enfin votre billet. Vous cherchez votre compartiment, traversez le long couloir étroit. L’ambiance est feutrée, une épaisse moquette au sol aux motifs tapis persan recouverte d’un tapis rouge vif quand il neige.

Ça y est : vous voici devant votre compartiment. Ici la moquette est écossaise. Aux fenêtres, des petits rideaux en nylon à festons, aux couleurs pastel. Sur la table pliante sous la fenêtre, une nappe, en nylon également. Un décor des années 1960. Il reste 20 minutes avant le départ : tout est encore dans le noir et les rideaux sont fermés. Vous découvrez vos compagnons de voyage. Aujourd’hui c’est une petite dame replète, assise bien droite sur la banquette. Elle doit avoir la soixantaine et porte une jupe fleurie, des cheveux rouges, un châle à fleurs. Babouchka ou paysanne ? Sur sa banquette, des grands sacs pleins à craquer ; dans les filets à bagages en hauteur, d’autres gros paquets bien ficelés.

Je m’assieds en face d’elle pensant que la conversation limitée me laissera travailler. Un signe de tête discret pour se saluer. Les lumières s’allument, le train démarre. Pas un échange durant la première demi-heure jusqu’à Vladimir, l’unique arrêt du trajet, comme si cela ne valait pas la peine de commencer quoi que ce soit avant d’avoir passé cette première étape. Sans nous concerter, nous gardons les rideaux fermés, espérant contre toute logique décourager de futurs passagers.

Nous repartons ; aucun nouveau passager ; je sors tranquillement mes dossiers. La responsable du wagon vient nous servir le thé : noir, sucré, brûlant, avec une rondelle de citron (jamais de lait) dans des hauts verres bien calés dans leur porte-verres métallique délicatement ciselés. Il y a également l’assiette de biscuits secs l’hiver, ou de bonbons acidulés l’été. Non, ce ne sont pas nos petits Lu ni les caramels au beurre salé de Guérande, mais c’est offert par la compagnie de chemin de fer, avec ou sans le sourire de la responsable !

Ce thé est le signal de la détente. On tire les rideaux pour admirer le paysage ; on s’installe confortablement. Je m’apprête à travailler.

Ma « babouchka » me lance alors un « Vous venez d’où ? Comment vous appelez-vous ? Moi c’est Irina. » Je range mes dossiers et nous voici lancées dans une conversation mi-russe/mi « petit chinois ». Elle me raconte en vrac ses deux filles dont elle est très fière, le divorce de l’une, les problèmes d’alcool du mari de l’autre, leur travail à Moscou. Elle me propose un morceau généreux de son Kolbaci comme s’il s’agissait d’une denrée de luxe et non du saucisson local, rose et gras. Puis elle aborde la religion : je suis quoi ? Elle est orthodoxe bien sûr ! Moi catholique. Ah : tu le fais comment ton signe de croix ? Et nous voilà à échanger nos rites et pratiques religieuses dans un train suranné, entre une babouchka et la salariée d’une société internationale de la HiTech. Je souris : le train, lieu de rencontres cocasses et inoubliables.

Comments:

  • décembre 3, 2021
    Catherine

    Magnifique ! Merci Sylvie pour le partage…
    Je dégusterai chaque jour une de tes jolies proses et m’en régale d’avance !

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